Coup d’œil dans les archives de l’Etat


Commission de nomenclature : quand les toponymes font débat

Lorsqu'on ouvre une carte géographique ou qu'on se laisse guider par GPS, on se demande rarement comment les noms de lieux y ont été définis. Qui décide, par exemple, si un hameau s'appelle officiellement "Tschingere" ou "Zingere" ? Et un village peut-il avoir plusieurs graphies ?

En 1964, le Conseil d'Etat a chargé les Archives cantonales d'une tâche exigeante: vérifier la liste officielle des noms de lieux et la comparer avec l'orthographe figurant dans le répertoire des PTT ainsi que sur la carte nationale. Cette démarche s’appuyait sur un arrêté du Conseil fédéral de 1938 concernant le relevé et l'orthographe des noms locaux lors des mensurations cadastrales, un document qui fixe, pour toute la Suisse, les règles relatives aux noms de lieux, de communes et de stations.

Sur cette base, le Gouvernement valaisan institua une commission propre au canton, la Commission de nomenclature, chargée de veiller à la bonne orthographe des toponymes.

 

Des règles pour les noms et pourtant bien des discussions

La commission cantonale comptait trois à cinq membres. Elle vérifiait si les noms recueillis par le géomètre du registre foncier étaient correctement restitués. L'objectif était d'uniformiser l'orthographe, non seulement pour des raisons administratives, mais aussi dans l'intérêt des citoyens, qui doivent se fier aux cartes, aux actes ou aux panneaux de localisation.

Mais l'uniformité est plus facile à décréter qu'à mettre en œuvre. Surtout en Valais, où dialectes, frontières linguistiques et traditions séculaires se rencontrent : la question de la « bonne » orthographe est loin d’être simple.

 

Deux petites anecdotes

Au croisement des langues : qui traduit quoi ?


La diversité linguistique du canton a rapidement alimenté les débats. Deux commissions furent donc créées : l’une pour le Haut-Valais, l’autre pour le Bas-Valais.

L'Office fédéral de la statistique a répondu à une demande à ce sujet par une lettre aussi pragmatique que révélatrice : il existait bien une liste de 77 traductions courantes, mais celle-ci visait avant tout à aider les officiers d’état civil, sans constituer une règle linguistique contraignante. Après tout, qui voudrait qu'un fonctionnaire francophone écrive "Brigue" au lieu de "Brig" ou qu'un germanophone écrive "Sitten" au lieu de "Sion" ? La langue n'est pas seulement un outil fonctionnel : elle exprime aussi un sentiment d’appartenance.

 

Entre dialecte et norme : une histoire haut-valaisanne

Les archives de la Commission de nomenclature des années 1960 offrent un bel exemple. Albert Carlen, chargé de la transcription des noms locaux, se montrait sceptique face à l’idée de fixer systématiquement les toponymes selon la prononciation dialectale. Même au sein du Haut-Valais, la prononciation et l’usage varient, d’une vallée à l’autre, voire d’une personne à l’autre.

Sa remarque concernant la prononciation du « e » long et fermé, courant dans la partie inférieure du Haut-Valais (« Chees », « Scheer »), est particulièrement parlante. Fallait-il le remplacer par un « ä » uniforme – écrire « Chäs » au lieu de « Chees » – pour se rapprocher de l’usage d’autres régions ? Une petite note linguistique, certes, mais un exemple frappant de la charge identitaire qu’un seul caractère peut porter.

 

La langue est plus qu'un outil : c’est un ancrage


Les noms ne sont pas de simples coordonnées. Ils reflètent la manière dont les gens perçoivent leur environnement, racontent leur histoire et souhaitent être compris. Le travail de la Commission de nomenclature dépassait ainsi largement le cadre administratif. Il s’agissait de trouver un équilibre entre tradition et lisibilité, entre dialecte et langue standard, entre identité locale et vision étrangère.

Celles et ceux qui souhaitent aujourd’hui approfondir ces questions trouveront au sein des Archives de l’Etat deux fonds particulièrement éclairants :

- les documents de la Commission cantonale de nomenclature pour le Haut-Valais / Kantonale Nomenklaturkommission für das Oberwallis (CH AEV, 2300-2022/1)

- ainsi que la vaste collection "Orts- und Flurnamenbuch Oberwallis" (CH AEV, Orts- und Flurnamenbuch Oberwallis, 2023/20), qui offre un riche matériel sur la diversité linguistique et l'histoire des noms de la région.

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