
Dans la peau de...Caroline Brunetti, archéologue cantonale
Plongée dans le passé dans le lac du Grand-St-Bernard
Rendez-vous pris un mardi matin du mois d’août au col du Grand-Saint-Bernard, à la frontière entre la Suisse et l’Italie. Dans ce décor alpin, où la fraîcheur contraste avec la chaleur des plaines, l'objectif est clair : suivre une plongée pour cartographier le fond du lac et prélever des sédiments. Sous la responsabilité de Caroline Brunetti, archéologue cantonale, cette mission vise à mieux comprendre les variations climatiques qui ont marqué au fil des siècles la région, autrefois un important carrefour de commerce et de culture.


Une mission d'envergure
Les campagnes de prospection comme celle-ci sont rares mais riches en enseignements. Au cœur du dispositif se trouve le CREASSM (Centre de Recherches et d'Etudes en Archéologie Subaquatique et Sous-Marine), une association romande avec des plongeurs très qualifiés, bénévoles, qui prennent sur leur temps libre pour cette mission. « Nous leur offrons le gîte et le couvert ? », précise Caroline Brunetti, archéologue cantonale. Chaque plongée, d'une heure, permet de créer des modèles 3D du fond du lac, de récolter des artefacts et d'extraire des sédiments, révélant des informations précieuses sur les climats passés.
Le Valais : un paradis pour les archéologues
Les fouilles au lac du Grand-Saint-Bernard ne sont qu’un exemple du travail de Caroline Brunetti et de son équipe. Le Valais est en effet une région riche en découvertes archéologiques, bien que cela soit souvent méconnu de ses habitants. L’archéologue cantonale cite le trésor de Saint-Maurice, exposé au Louvre, ou les stèles néolithiques demandées par le British Museum. « Les gens sont parfois agacés lorsqu’un chantier est retardé pour cause de fouilles, mais dès qu’un squelette ou un vestige apparaît, tout le monde se passionne et vient voir ce que l’on trouve », raconte l’archéologue cantonale.
Les gens sont parfois agacés lorsqu’un chantier est retardé pour cause de fouilles, mais dès qu’un squelette ou quelque chose apparaît, tout le monde se passionne et vient voir ce que l’on trouve
Révolue l’époque de la brosse à dents
Le travail de l’archéologie va bien au-delà des clichés que l’on peut avoir. « L’image populaire de l’archéologue armé d’une brosse à dents dégageant patiemment un squelette est révolue », explique Caroline Brunetti. « Aujourd’hui, l’archéologie, c’est aussi l’utilisation de machines de chantier pour déblayer des couches de sédiments et faciliter l’accès aux vestiges enfouis. Notre premier outil, c’est souvent la pelle mécanique. »
L’image populaire de l’archéologue armé d’une brosse à dents fouillant patiemment un squelette est révolue
Fouiller avant de construire
Au-delà de la mission particulière du jour, l’archéologie en Valais s’étend bien au-delà des lacs alpins. « Nous intervenons sur tout le territoire cantonal », précise Caroline Brunetti. Les secteurs archéologiques sont actualisés au rythme des nouvelles découvertes et de la mise à jour des plans d’aménagements du territoire. « L’archéologie, c’est faire de la place pour les nouvelles constructions, tout en documentant ce qui est amené à disparaître », précise l’archéologue. Une ligne de la loi impose en effet une évaluation archéologique avant tout projet de construction en secteur archéologique.
L’archéologie, c’est faire de la place pour la construction, tout en préservant ce qui doit l’être
Nous avons à peu près 35 personnes pour l’A9, notamment à Finges, et plus de 35 personnes à Sion qui vont sur tous les chantiers du canton.
Un office et beaucoup de mandats
L’Office cantonal d’archéologie, rattaché au Service de la culture, compte huit personnes et une dizaine d’auxiliaires, mais collabore avec environ 70 personnes sur le terrain, notamment pour les grands projets. « Nous avons à peu près 35 personnes pour l’A9, notamment à Finges, et plus de 35 personnes à Sion sont mandatées pour réaliser les fouilles sur l’ensemble du territoire cantonal et les études qui en découlent sur tous les chantiers du canton. Contrairement à la majorité des cantons suisses, où les fouilles archéologiques sont menées par des services publics, le Valais mandate des entreprises privées spécialisées.
Préserver le patrimoine tout en respectant le budget
« Mon travail est souvent plus administratif que ce que les gens imaginent. Je suis devenue une archéologue de bureau », dit Caroline Brunetti en souriant, tout en précisant que son rôle inclut aussi la supervision des mandats de fouilles et des études L'archéologie exige une approche méthodique et scientifique. Il est essentiel de ne pas détruire du patrimoine inutilement. « Chaque décision prise dans un bureau a un impact direct sur le terrain ».
Son office doit aussi faire face à des défis budgétaires. « Le budget est fixe, mais les découvertes sont imprévisibles », explique-t-elle. Un rôle de gestionnaire pour s’assurer que les ressources financières sont gérées de manière à garantir que les fouilles soient menées à bien et que les découvertes soient correctement étudiées et préservées.
Chaque décision prise dans un bureau a un impact direct sur le terrain
Une vocation d’archéologue
Depuis son plus jeune âge, Caroline Brunetti a une passion pour l'histoire. « Quand j'étais toute petite, j'avais un livre avec les métiers. Il y avait un vieux monsieur en blouse blanche avec une baguette montrant un squelette de dinosaure. Jusqu'à l'âge de sept ans, mon rêve, c'était de devenir paléontologue. » Mais c’est lors d’une visite à Avenches, face à l’amphithéâtre romain, que Caroline a eu un véritable déclic : elle sera archéologue.
Jusqu'à l'âge de sept ans, mon rêve, c'était de devenir paléontologue
Gravé dans la vaisselle cassée
Après des études en archéologie, en histoire des religions antiques et en histoire ancienne, Caroline Brunetti s’est spécialisée dans l’étude de la céramique antique. « Ce qui évolue le plus vite, c'est la vaisselle de table, ça se casse. Et il y avait déjà beaucoup de scènes de ménage dès l'Antiquité », ajoute-t-elle avec humour. La vaisselle est un indicateur précis de l'époque, grâce à l'évolution rapide des formes et des décors. L’archéologue cantonale utilise toujours cette image : « C'est comme si vous allez chez Ikea : chaque dix ans, vous voyez très bien dans quelle période vous êtes. Vous n’avez aucun doute entre les années septante avec ses couleurs brun, orange et les années 2000 où les assiettes carrées ou rectangulaires apparaissent. »
Ce qui évolue le plus vite, c'est la vaisselle de table, ça se casse. Et il y avait déjà beaucoup de scènes de ménage dès l'Antiquité
Le retour en Valais
Après avoir travaillé pendant 27 ans dans le canton de Vaud et à l’étranger, la Sierroise a décidé de revenir en 2015 dans son canton d'origine pour relever un nouveau défi. « J'ai fait essentiellement des fouilles, des publications, donc surtout de la recherche. C'est quand même un travail très solitaire. Un jour, je me suis dit que c’était le moment de changer. Le Valais c’est mon canton d'origine, même si je suis partie à vingt ans. »
C'est quand même un travail très solitaire.
Une réflexion sur le temps et l’histoire
« L’archéologie permet de réfléchir sur des problématiques de société à travers le temps, sans être influencé par le climat socio-politique actuel », explique-t-elle. Son travail a une dimension profondément humaine. « Il y a quand même une notion d'appartenance à un territoire, au fait de comprendre pourquoi les gens se sont établis dans certains lieux comme des deux côtés du col du Grand-St-Bernard par exemple. Cette perspective historique est essentielle pour aborder les défis du présent et contribuer à l'identité culturelle du Valais », conclut-elle avec sagesse.
L’archéologie permet de réfléchir sur des problèmes de société à travers le temps, sans avoir l'affect ou l'aspect politique qu'on pourrait avoir aujourd'hui