Dans la peau de...Une journée dans la peau d’une conservatrice des monuments historiques

Il est encore tôt ce mercredi matin d’avril, les premiers rayons du soleil se frayent un chemin dans les ruelles de la vieille ville de Sion. C’est dans cette atmosphère printanière que nous nous rendons au Service Immobilier et Patrimoine, situé à l’extrémité ouest de la Place du midi, où nous attend Maria Portmann, l’unique conservatrice du patrimoine bâti du canton du Valais. Nous nous apprêtons à lui emboîter le pas durant toute une journée afin de découvrir son métier.

Sa place de travail est on ne peut plus ordinaire, un bureau, un ordinateur, beaucoup de papiers : des documents, quelques cahiers et des brochures. Un détail attire cependant notre attention: de nombreux ouvrages se trouvent sur les étagères. Plus de doute sur l’importance des archives dans la conservation du patrimoine. « La conservation des monuments historiques est un métier pluridisciplinaire. Il est à la croisée des chemins entre l’histoire (de l’art) et l’architecture, et c’est ce qui en fait toute la particularité. », précise Maria Portmann. Docteure en histoire de l’art, elle travaille chaque jour en étroite collaboration avec les architectes du Service Immobilier et Patrimoine. Ce sont eux qui assurent le suivi de chantier, alors qu’elle, en tant que conservatrice, veille au déroulement administratif et scientifique des projets.

Le contenu de ces ouvrages est en partie disponible en ligne (version mobile)

Maria Portmann nous conduit dans une petite pièce derrière son bureau, c’est une bibliothèque. Des livres, encore des livres. Ils traitent de l’histoire, des spécificités et de la restauration du patrimoine bâti. On y trouve de tout: des collections d’éditions de monuments spécifiques dans les districts, aux Guides de monuments suisses, en passant par une collection répertoriant les sites d'importance nationale.

Mais qu'est-ce qu'un monument, au juste? La conservatrice explique: « Le terme de monument historique s’applique aux édifices et aux ouvrages d’art ayant une importance particulière pour leur époque. Ayant une importance du point de vue de leur emplacement territorial dans un tissu bâti ou dans le paysage, ce sont des témoins significatifs de leur époque du point de vue historique, scientifique, religieux, culturel, social ou ethnographique. On se doit de les préserver par le fait qu’ils conservent une substance historique importante, témoin d’un savoir-faire traditionnel ou scientifique particulier qui se doit d’être valorisé par sa transmission. Il représente ce qu'il y a de plus précieux des époques passées. Cet héritage doit être transmis dans sa substance aux générations futures. En tant que conservateurs des monuments historiques, nous devons donc mettre en valeur le passé et transmettre ces témoignages avec leur mode de construction aux générations futures. Nous sensibilisons le public par les publications et des manifestations ponctuelles. »

En Suisse, la Confédération décide du classement d’un monument historique d’importance nationale, sur proposition des cantons. Il existe ainsi des monuments, des sites et voies historiques d'importance nationale, régionale et communale. Le Pont du Findelbach à Zermatt et le Château Mercier à Sierre sont par exemple des monuments d'importance nationale.

Le Château de Saint-Gingolph , qui est quant à lui classé monument d’importance régionale.

Une carte interactive permet de consulter les sites bâtis classés.

Nous sensibilisons le public par les publications et des manifestations ponctuelles.

Le temps presse! Le soleil est déjà haut dans le ciel. Une réunion est prévue à 10h00 sur la colline de Valère. «Le Bourg fortifié avec l’église de Valère est un monument historique datant des XIIe et XIIIe siècles, classé d’importance nationale. Ce sont les plus importants travaux de restauration jamais opérés sur un monument historique dans notre canton », souligne Maria Portmann pendant notre montée. Le Château de Tourbillon, sur la colline opposée, est lui aussi classé monument d’importance nationale, comme le site naturel qui les entoure. Si ce dernier a subi d’importants dégâts lors du tremblement de terre de 1946, Valère, lui, a bien résisté. Mais pour qu’il continue de traverser les siècles, il doit être restauré. Elle ajoute: «Tout monument doit être restauré un jour ou l’autre et pour éviter sa dégradation, un entretien constant doit être assuré. A Valère, les travaux ont débuté en 1987. » La conservatrice en est responsable depuis son entrée en fonction au Service Immobilier et Patrimoine, il y a cinq ans. En tant que cheffe de projet, avec son adjoint, l’architecte Benoît Coppey, elle assure la coordination entre les différents spécialistes, la gestion des délais ainsi que toute la partie administrative de la restauration. En plus d’assumer les tâches typiques d’une cheffe de projet, elle joue un rôle-clé de conseillère: elle pousse les parties au projet à la réflexion et à la discussion. C’est précisément ce qu’elle va faire lors de la réunion qui nous attend.

Tout monument doit être restauré un jour ou l’autre et pour éviter sa dégradation, un entretien constant doit être assuré. A Valère, les travaux ont débuté en 1987

Notre montée terminée, nous entrons dans le site médiéval. Au milieu des échafaudages, des outils et des câbles, Maria Portmann est attendue par l’architecte Christophe Amsler (architecte mandaté pour le chantier), plusieurs archéologues, historiens et historiens de l’art, l’expert fédéral, la directrice des Musées cantonaux et le directeur du Musée d’histoire. Valère est un monument à part: du fait de son importance, des métiers extrêmement divers participent à sa restauration – avec pour principe de « restaurer et conserver le bâtiment avec ses diverses périodes de restauration. »

Valère est un monument à part: du fait de son importance, des métiers extrêmement divers participent à sa restauration

Le chef des travaux et architecte Christophe Amsler ouvre la discussion. A l’ordre du jour: l’avancement des travaux de restauration des parties inférieures et supérieures du jubé (cloison qui sépare la nef du chœur datant du XIIIe siècle) et d’un éventuel système mobile de haut-parleurs.

De gauche à droite : Marie-Paule Guex (archéologue, bureau InSitu), Romaine Syburra (directrice ad-interim des Musées Cantonaux), Olivier Guyot (Consortium Guyot-James), Jacques Bujard (expert fédéral), Ludovic Bender (archéologue, bureau InSitu), Maria Portmann (conservatrice cantonale des monuments historiques, cheffe de section Patrimoine, SIP).
Restaurer et conserver le bâtiment avec ses diverses périodes de restauration.
De gauche à droite : Christophe Amsler (architecte), Olivier Guyot (Consortium Guyot-James), Jacques Bujard (expert fédéral), Benoît Coppey (architecte, SIP), Romaine Syburra (directrice ad-interim des Musées Cantonaux), Marie-Paule Guex (archéologue, bureau InSitu).

Dans la partie supérieure du jubé, on trouve un Calvaire représentant Saint Jean, la Vierge Marie et Jésus.

La statue de Jésus a déjà été restaurée; elle a uniquement été nettoyée. Celle de la Vierge Marie est encore en cours de restauration.

Dans la partie basse du jubé, les spécialistes s’affairent autour de pierres mises au jour dans la maçonnerie. Il s’agit de décider si elles seront restaurées, uniquement nettoyées ou retirées, car il est possible qu'elles cachent une autre couche de pierres, encore plus ancienne. Les spécialistes analysent la situation, discutent entre eux... Finalement le risque de dégradation est trop important. La couche supérieure ne sera donc pas retirée, mais simplement dépoussiérée.

On aborde ensuite la question de la technologie actuelle par un système de haut-parleurs dans le chœur (partie de l’édifice accueillant l’autel) – des éléments devant être aisément transportables puisque destinés à être utilisés uniquement lors d’événements isolés, et stockés dans un local séparé afin de préserver le caractère historique et l'aspect médiéval et préindustriel de l'église.

Vient enfin la question de la date du retrait des échafaudages et de la documentation photographique de fin de chantier. Toute la restauration et les résultats sont documentés. Les résultats des recherches scientifiques et techniques du chantier feront l’objet d’un numéro de la série «Les Monuments d'art et d'histoire de la Suisse», à paraître en décembre 2022. Maria Portmann explique alors que si une phase de restauration de cinq ans est sur le point de s’achever, une autre est déjà en phase de préparation. La restauration du Château de Valère est un projet au long cours, avec toujours de nouveaux chantiers à la clé, permettant de valoriser le travail et la formation dans les métiers du patrimoine.

 

La restauration du Château de Valère est un projet au long cours.

A côté de la restauration de Valère, quelles sont les autres tâches de la conservatrice des monuments historiques?

En ce début d’après-midi, Maria Portmann nous montre que la majeure partie de son travail relève de l’administratif. Lorsque des demandes de réaffectation ou de transformations de bâtiments sont déposées, ses collègues les analysent et émettent un préavis. Elle les vérifie ensuite en sa qualité de conservatrice. Dernier volet de ses activités quotidiennes, et non des moindres en collaboration avec son adjoint Benoît Coppey : la publication de connaissances et de données sur une plateforme en ligne ainsi que la rédaction et la coordination de textes scientifiques et de publications à l’adresse des spécialistes, des médias ou de la population. La sensibilisation à la question des monuments historiques, à leur histoire, à leur conservation et à leur transmission aux générations futures est un élément essentiel du travail de conservateur. En ce sens, l’organisation des « Journées européennes du Patrimoine », qui ont lieu chaque année, est également importante. Et Maria Portmann tient à préciser: « Lors de ces journées, les monuments historiques ouvrent leurs portes à la population. ». Une occasion unique de découvrir leur histoire, en quoi ils sont des témoins majeurs de leur époque, et d’expliquer quels travaux de restauration ont été effectués – de quoi favoriser à son tour la sensibilisation au patrimoine culturel de notre canton.

Visites guidées publiques et gratuites du chantier de la Basilique de Valère :

Les mercredis 11, 18 et 25 mai ainsi que le 1er juin 2022 à 14 h 00
Lieu de rendez-vous: sur place, devant l’entrée de l’église

Journées européennes du Patrimoine
  retour